vendredi 16 octobre 2015

Noviciat (Noel Burch, 1960)

Noviciat, sympathique court-métrage semi-expérimental, est un film oublié. Ce n'est pas une surprise : premier film de Noël Burch, ce dernier a depuis acquis une réputation en tant que théoricien et historien du cinéma (même si pas toujours apprécié de par chez nous). Mais n'allez pas croire que Noviciat n'est qu'une erreur de parcours dans la carrière d'un important théoricien; et le désir de voir ce film n'est en rien comparable à celui que, par exemple, l'on aurait de voir le « premier » court-métrage de Serge Daney (film non-fini, renié, « misogyne »; sans que cela ne dise quoi que ce soit sur ce qu'aurait pu être le Daney réalisateur). C'est à dire un désir un peu morbide, qui irait déterrer ce qui valait la peine d'être enterré. Non, au début des années 60, Noël Burch semblait effectivement se destiner à une carrière de cinéaste alors même qu'il venait d'assister Pierre Kast (pour Le Bel âge) et d'autres. Sa « carrière » de réalisateur, se limitera finalement à des créations sporadiques : des épisodes pour Cinéastes de notre temps, le docu Red Hollywood (co-réalisé avec Thom Andersen, auteur du génial Los Angeles plays itself) et plus récemment le très intéressant The Forgotten Space (2010, co-réal. Allan Sekula), incompréhensiblement jamais sorti en France. C'est-à-dire des œuvres il est vrai éparses mais qui relèvent d'un réel intérêt. 

Il peut être intéréssant de voir que dès ce petit film, Burch « annonce » le thème sur lequel se fondera beaucoup sa carrière théorique, et qui alimente jusqu'à aujourd'hui ses créations filmiques. Dans Noviciat, un jeune homme (André S. Labarthe) est pris en flagrant délit de voyeurisme alors qu'il observe de charmantes jeunes filles suivre un cours de karaté. Maîtrisé par la professeur, il devient le punching-ball de ces demoiselles, subissant leur entraînement quotidien. Gardé prisonnier, soumis et ridiculisé, il accomplit au passage son initiation de parfait dominé-fétichiste, avant d'être vendu à une autre dominatrix, alors même qu'un nouveau jeune homme voyeur est sur le point d'être fait prisonnier. 


Cette mise-en-scène du spectateur (ici voyeur et soumis à la fois) n'est pas nouvelle mais Burch s'y intéressera particulièrement au cours de sa carrière de théoricien, s'interrogeant sur la place du spectateur au sein même du film (et notamment toutes les mises en scène du voyeurisme qui peuplent le cinéma primitif et témoignent d'une évolution par à coups vers ce que Burch appelle le M.R.I, en partant des films où sont réunis au sein du même cadre celui qui regarde et celui qui est vu, en passant par les premiers films « à trou de serrure » (la serrure ou le télescope (…) comme agents médiateurs entre deux espaces), jusqu'au découpage de l'ubiquité (champ-contre-champ moderne)), mais s'interrogeant aussi sur ce qui constitue les spectateurs (nous) du film (d'où son apport d'historien qui détonne un peu avec les réflexions de l'école française). Il n'est pas étonnant que Noviciat multiplie les formes du voyeurisme; et très rapidement, celui qui voyait devient celui que l'on regarde (lorsque sa silhouette de sangsue apparaît à travers le plafond en PVC, puis lorsqu'il est soumis aux ordres des demoiselles). C'est donc sur un mode certes assez particulier, mais ce simple court-métrage annonçait déjà (en partie) l'œuvre à venir de Noël Burch, et le film fait ici cohérence (on pourrait aussi parler de tous les effets de montage au début du film qui semblent être une tentative d'échapper au M.R.I). En 2012, Noël Burch lançait une campagne kickstarter pour un long-métrage de fiction. En regardant la bande-annonce (plutôt affreuse, à vrai dire, d'ailleurs l'actrice principale semble avoir deux nombrils), on découvre un jeune voyeur qui, à travers un trou de serrure, épie un cours de karaté..! Mais avec seulement 2000 dollars récoltés, nous n'aurons visiblement jamais droit au remake de Noviciat.
Jacques Poli V.

Cote de rareté : 2/5. Le film appartient au catalogue Lightcone.

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