dimanche 2 mars 2014

Vrooom Vroom Vroooom (Melvin van Peebles, 1995)


 
Pour ce court-métrage, troisième partie d'une série sur le thème de l'érotisme, Melvin van Peebles part sur les rails stables mais déjà terriblement abîmés du film blaxploitation. Si Peebles a participé (involontairement?) à la création du genre avec Sweet Sweetback's Baadasssss Song (1971), il en a aussi exposé les limites : accumulation à l'extrême des clichés, vision manichéenne du pouvoir blanc oppressant la minorité noire (situation qui d'ailleurs se renverse à la fin des films...), etc. Une vision au final très éloignée de la subtilité des films de Charles Burnett, deux réalisateurs qu'on range pourtant dans la même case, l'histoire du « cinéma noir américain» attendant toujours d'être écrite. Pourtant, si le cinéma de Peebles marque les esprits, c'est par sa folie anarchique et psychédélique. Pour rappel, le héros de Sweetback réalise des performances sexuelles devant public, tabasse des policiers et impressionne tout un gang de bikers grâce à la taille imposante de son sexe, échangeant même sa libération contre une partie de jambe en l'air avec la chef du groupe.
Pour autant, nous n'irons pas jusqu'à nier la filiation de Vrooom Vroom Vroooom au registre blaxploitation, déjà terriblement daté en 1995. Il faut dire que ces films, destinés premièrement à la communauté noire, ne présentent plus ces personnages séducteurs en vendetta contre l’autorité (type Shaft, 1971), mais aussi n'intéressent plus la cinéphilie mondiale, car déconnectés de l'idéologie 70's qui fit partie intégrante du genre.


Dans une bourgade américaine, un jeune mécano nommé Leroy se voit quelque peu rejeté par les autres garçons, ces derniers possédant argent et petite amie. Un jour, alors qu'ils festoient à bord d'un camion (!) lancé à tout berzingue, ils manquent d'écraser une vieille femme errante. Cette dernière est sauvée in extremis par notre jeune héros et se révèle être une magicienne. Elle lui promet qu'elle exaucera ses deux vœux les plus chers sans que Leroy ait le temps de les formuler. Le soir même, il découvre une superbe moto qui lui est destinée, et part alors sur les routes de campagne. Le véhicule s'avérera alors être aussi une magnifique femme noire à la peau brillante, exauçant alors le deuxième vœu de Leroy. Esthétiquement, le film est déstabilisant, versant premièrement dans une image chaude, où l'on voit tous les personnages danser sous le soleil de l'après-midi (la bande-son est affreuse). Cela évoque une blaxploitation datée, passéiste ou alors trop propre (on pense à l'image de Nightjohn (1996), film de Burnett produit par Disney). En même temps, le déluge d'effets imbibe l'image et l'alcoolise presque, nous saoulant et nous plaçant dans la fournaise des corps : le talent et la folie de Peebles sont bien là.
C'est pourtant lors des virées nocturnes que le film se révèle vraiment. La caméra se tenait auparavant en équilibre précaire sur les rails d'un genre désaffecté, elle laisse maintenant place à une nuit américaine de studio qui magnifie cet engin qui perçant l'obscurité, détaillant un décor en carton pâte minimaliste (plusieurs fois la vision lointaine d'une petite éolienne, viendra signifier l'arrivée du matin et le retour au foyer). L'extase se dédouble lorsque les différentes parties de la photo deviennent celle d'une femme recouverte d'une sueur tendre (les pots d’échappement viennent enlacer le héros!). N'existe plus que les regards amoureux et la nuit au loin. On peut penser aux scènes de conduite hallucinées dans le Twixt de Coppola (2012). Mais s'il fallait chercher une véritable affiliation, il ne serait pas étonnant d'apprendre que Vrooom Vroom Vroooom a inspiré le clip pour Bound 2 de Kanye West !

Flanqué d'un certain mauvais goût, le film s'en sort grâce à ces scènes fantasmées et à une accumulation d'effets de montage complexes, qui frisent l'overdose mais maintiennent le film dans un flow tout particulier : Melvin Van Peebles est en roue libre et c'est assez appréciable. Son cinéma est la preuve d'un geste créatif toujours présent mais qui ne se prend pas forcément au sérieux. Il est devenu lui-même un stéréotype blaxploitation : le vieux roublard, poète et pervers.
Toujours partagé entre de nombreuses occupations (on aimerait jeter une oreille sur son album de 2012 Nahh... Nahh Mofo, le titre est parfait), il n'aura jamais cherché à s'imposer comme un grand réalisateur et c'est tant mieux. En 2008 il disait : « I make films like I make food: if you don’t like it, I’ll just be eating it all week for leftovers ». C'était pour la présentation de Confessionsofa Ex-Doofus-ItchyFooted Mutha (!), un film réjouissant, fait de brics et de brocs et, pour le coup, complètement invisible depuis ces quelques projections.

Sûrement que Melvin van Peebles s'en fiche.

Vincent Poli

Cote de rareté : 3/5. Uniquement trouvable sur internet, en bonne qualité cependant.


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