Unique film réalisé par un acteur, lui aussi un peu oublié, d’après
le texte de Paul Claudel. Unique film en soit, qui emporte au bout du monde
sans prévenir, dépeint les sentiments les plus purs comme il s’autorise de
déconcertantes loufoqueries, Alain Cuny, en un seul film, a inventé un cinéma d’une
force et d’une puissance inédites. L’Annonce
faite à Marie est un voyage dont la mise en scène brasse un éventail
étonnant de capacités, contrastant avec la simplicité de l’action. Promise à
Jacques, Violaine met son mariage en péril en embrassant Pierre, architecte
l’ayant autrefois aimée et désormais lépreux.
Sublime récit d’amour auréolé du mystère de la foi, le film
est placé en terrain connu. Matériau littéraire, performances abstraites des
acteurs, tous non professionnels hormis Cuny lui-même dans le rôle du père de
Violaine, dépouillements des décors, univers pastoral et moyenâgeux, cadre
1,37. Toute une tradition du cinéma européen dans laquelle le film s’inscrit
magistralement : Dreyer, Bresson, Huillet et Straub, Rohmer, Oliveira,
Monteiro.
Pourtant, ce sont les bizarreries et surprises qui parsèment
ici et là le film qui stupéfient peut-être le plus, au-delà de sa beauté
plastique (le voir projeté en 35 mm est une merveille) et formelle (La lumière
de Madame de Ribes et cette superbe actrice qui ne semble n’avoir rien fait
d’autre), alors qu’elles ne sont jamais mentionnées par Ishaghpour, Païni ou
d’autres. Parmi lesquelles on peut citer :
- l’abeille se cognant contre le carreau d’une fenêtre et
autour de laquelle une cible se dessine inexplicablement sur l’écran ;
- les images d’archives de tribus africaines ou de
documentaires animaliers incorporées à la séquence « vertovienne » de
l’Angelus au début, où le montage soulève le cœur en exaltant soudainement une
perception cosmique sans prévenir, de même que le décor, après deux bobines de
nature luxuriante, se transforme d’un plan à l’autre en paysage arctique ;
- le maneki-neko, qui n’a pas dû échapper au regard de
Chris. Marker, posé innocemment sur une armoire de la maison de la famille
Vercors ;
- les nombreux faux raccords touchant essentiellement la
scénographie, la disposition des acteurs les uns par rapport aux autres, qui
donnent un doux parfum d’amateurisme revendiqué.
Ces anomalies inattendues mais bienvenues dans ce type de
cinéma participent de l’impression de voler successivement à plusieurs
hauteurs, plutôt que de progresser de façon linéaire et strictement horizontale
dans le drame de Claudel (Acte 1 puis Acte 2 puis Acte 3 etc.). Sans oublier,
bien sûr, tout l’art avec lequel les acteurs ont su porter le texte, ce que la
postsynchronisation des voix n’a en rien entravé (3). Bien au contraire, elle
n’est qu’un élément inattendu de plus et c’est ce qui fait tout le sel de cette
Annonce.
Alexandre Kassis
1 DANTON Amina, Cahiers
du cinéma, n°450, décembre 1991, page 83.
2 Cf. GREEN Eugène, Présences :
Essai sur la Nature du cinéma, Desclée de Brouwer, 2003, page 113 :
« Claudel […] a créé un théâtre tout de mouvement, tant intérieur
qu’extérieur, où les êtres et les passions s’entrechoquent dans la gloire du
verbe. »
À lire :
*Lettre de Chris. Marker à Alain Cuny à propos de son
film.
* « La photographie nous aveugle », texte
d’Alain Cuny publié dans les Cahiers du
cinéma n°450.
À voir :
*Alain Cuny revient sur les lieux du tournage (+ extraits).
Cote de rareté 4/5 :
Inconnu et très peu commenté ou cité, des copies VHS se
balladent à la recherche d’éventuels collectionneurs.
Bonjour Alexandre & merci infiniment pour votre texte!!
RépondreSupprimerje me permet de publier ce commentaire car je cherche depuis plusieurs mois à entrer en contact avec une personne ayant une VHS de ce film / sans aucun succès. Pouvez vous eventuellemen m'aider? Merci! Céline (Mon contact: lepetitchaos(arobase)yahoo(point)com)
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai une VHS de l'Annonce faite à Marie.
Cordialement.
JM Pujalte
jmpujalte@yahoo.fr