lundi 3 mars 2014

L’Annonce faite à Marie (Alain Cuny, 1991)

« Libre comme l’aire et fou comme un rêve » (1)


Unique film réalisé par un acteur, lui aussi un peu oublié, d’après le texte de Paul Claudel. Unique film en soit, qui emporte au bout du monde sans prévenir, dépeint les sentiments les plus purs comme il s’autorise de déconcertantes loufoqueries, Alain Cuny, en un seul film, a inventé un cinéma d’une force et d’une puissance inédites. L’Annonce faite à Marie est un voyage dont la mise en scène brasse un éventail étonnant de capacités, contrastant avec la simplicité de l’action. Promise à Jacques, Violaine met son mariage en péril en embrassant Pierre, architecte l’ayant autrefois aimée et désormais lépreux.
Sublime récit d’amour auréolé du mystère de la foi, le film est placé en terrain connu. Matériau littéraire, performances abstraites des acteurs, tous non professionnels hormis Cuny lui-même dans le rôle du père de Violaine, dépouillements des décors, univers pastoral et moyenâgeux, cadre 1,37. Toute une tradition du cinéma européen dans laquelle le film s’inscrit magistralement : Dreyer, Bresson, Huillet et Straub, Rohmer, Oliveira, Monteiro.
Pourtant, ce sont les bizarreries et surprises qui parsèment ici et là le film qui stupéfient peut-être le plus, au-delà de sa beauté plastique (le voir projeté en 35 mm est une merveille) et formelle (La lumière de Madame de Ribes et cette superbe actrice qui ne semble n’avoir rien fait d’autre), alors qu’elles ne sont jamais mentionnées par Ishaghpour, Païni ou d’autres. Parmi lesquelles on peut citer :
- l’abeille se cognant contre le carreau d’une fenêtre et autour de laquelle une cible se dessine inexplicablement sur l’écran ;
- les images d’archives de tribus africaines ou de documentaires animaliers incorporées à la séquence « vertovienne » de l’Angelus au début, où le montage soulève le cœur en exaltant soudainement une perception cosmique sans prévenir, de même que le décor, après deux bobines de nature luxuriante, se transforme d’un plan à l’autre en paysage arctique ;
- le maneki-neko, qui n’a pas dû échapper au regard de Chris. Marker, posé innocemment sur une armoire de la maison de la famille Vercors ;
- les nombreux faux raccords touchant essentiellement la scénographie, la disposition des acteurs les uns par rapport aux autres, qui donnent un doux parfum d’amateurisme revendiqué.

Ces anomalies inattendues mais bienvenues dans ce type de cinéma participent de l’impression de voler successivement à plusieurs hauteurs, plutôt que de progresser de façon linéaire et strictement horizontale dans le drame de Claudel (Acte 1 puis Acte 2 puis Acte 3 etc.). Sans oublier, bien sûr, tout l’art avec lequel les acteurs ont su porter le texte, ce que la postsynchronisation des voix n’a en rien entravé (3). Bien au contraire, elle n’est qu’un élément inattendu de plus et c’est ce qui fait tout le sel de cette Annonce.

Alexandre Kassis 


1 DANTON Amina, Cahiers du cinéma, n°450, décembre 1991, page 83.
2 Cf. GREEN Eugène, Présences : Essai sur la Nature du cinéma, Desclée de Brouwer, 2003, page 113 : « Claudel […] a créé un théâtre tout de mouvement, tant intérieur qu’extérieur, où les êtres et les passions s’entrechoquent dans la gloire du verbe. »

À lire :
*Lettre de Chris. Marker à Alain Cuny à propos de son film. 
* « La photographie nous aveugle », texte d’Alain Cuny publié dans les Cahiers du cinéma n°450.

À voir :
*Alain Cuny revient sur les lieux du tournage (+ extraits).

Cote de rareté 4/5 :
Inconnu et très peu commenté ou cité, des copies VHS se balladent à la recherche d’éventuels collectionneurs.

2 commentaires:

  1. Bonjour Alexandre & merci infiniment pour votre texte!!
    je me permet de publier ce commentaire car je cherche depuis plusieurs mois à entrer en contact avec une personne ayant une VHS de ce film / sans aucun succès. Pouvez vous eventuellemen m'aider? Merci! Céline (Mon contact: lepetitchaos(arobase)yahoo(point)com)

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  2. Bonjour,
    J'ai une VHS de l'Annonce faite à Marie.
    Cordialement.
    JM Pujalte
    jmpujalte@yahoo.fr

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