Né en 1922 et mort assassiné en 1983 (poignardé par sa petite amie), Paul Gégauff fut le scénariste le plus prolifique de la « nouvelle vague » française (avec Rohmer, Schroeder, Valère et surtout Chabrol (15 films)), une personnalité littéraire de la Rive gauche (quatre romans aux Éditions de Minuit), une figure « complexe » : en fait un fêtard invétéré, séducteur et alcoolique, proche de l'extrême-droite. Véritable « mauvaise conscience » de la nouvelle vague, son travail se caractérise alors par une vision cynique des rapports humains et une fascination pour les jeux de masques1. L'ambiguïté de ses personnages se confond avec sa propre vie : son dandysme revendiqué et son goût pour la provocation vont de pair avec ses états d'âmes suicidaires, en plus de faire régulièrement scandale.
Au plus fort de leur
délire, ils accostent sur une minuscule île « gouvernée »
par un marchand de perle : Roger Vadim, qui reste le personnage
le plus intéressant du Reflux. Ange des mers lointaines –
il invite les voyous à festoyer, se veut le garant d'un certain code
moral – ses habits d'une extrême blancheur ne trompent personne.
En étalant sous le regard des âmes éperdues une pleine poignée de
perles, il ne fait que jouer avec leurs nerfs, tout en les maintenant à
distance, du bout de sa carabine. Il poussera à bout Serge Marquand
qui, alors qu'il jurera être redevenu un homme bon, cachera en fait dans
sa main une fiole d'acide. La fiole lui explosera au visage, figeant
sur le visage du cadavre un rictus à même de dévoiler le fond de
son âme. C'est cette dernière partie, entre rage et abandon (Subor
vit une romance dans les sables pendant que Fabrizi et Marquand sont
confinés à bord du navire contaminé), qui certainement porte le
plus la patte de Gégauff réalisateur : haïr sa propre
lâcheté, mais haïr aussi les faux habits de la morale.
En plus du problème de
droits, le dilettantisme relatif de Gégauff est probablement à
l'origine de la non-sortie du film. Un film en tout cas à son image.
En 1975, Paul Gégauff jouera le naufrage de son propre mariage avec
Danièle Gégauff (qui – il faut le préciser –
n'est pas celle qui le poignardera le soir de Noël 1983) dans Une
Partie de plaisir de Chabrol (leur dernière collaboration, si
l'on excepte Les Magiciens en 1976). En dehors de sa
personnalité d'anarchiste de droite (sans intérêt, peu importe ce qu'il en est dit dernièrement), pour celui qui
déclara « Je ne me
suis jamais intéressé à rien, je n’ai jamais rien fait, du moins
rien qui vaille, avant le cinéma »,
Le Reflux est un film honnête.
Vincent
Poli
Cote
de rareté : 5/5. Le film est dernièrement passé deux fois,
lors de la rétrospective organisée par le CNC 58-68 :
retour sur une génération – vers un nouveau cinéma français
au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris (du 10 au 20 décembre 2013),
puis le vendredi 21 novembre 2014 au Festival International du
Film d'Amiens, dans le cadre de la rétrospective L'œuvre unique,
aux côtés de Les Jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz,
Schizophrenia, Rites
d'amour et de mort...
Sinon, le film est ici.
1: 58-68,
retour sur une génération : vers un nouveau cinéma français,
Centre national du cinéma et de l'image (CNC), Laurent Bismuth,
Eric Le Roy (dir.), Paris 2013.
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