Quatrième long-métrage pour ce
réalisateur né à Okinawa et qui se fera tout d'abord connaître en
tant que cinéaste expérimental et documentariste. A partir de 1971
et pendant 3 ans, Takamine filme quinze heures d'images 8mm à
Okinawa, sur la vie locale, les coutumes, etc. L'œuvre à venir de
Takamine ne changera pas d'axe (des titres : Okinawan Dream Show,
Okinawan Chirudai) :
Okinawa et son statut particulier d'île en prise avec deux
superpuissances. Takamine fait partie de cette nouvelle génération
d'artistes posant la question de l'existence d'un cinéma
« okinawaien ». Pour rappel, jusqu'à l'ère Meiji, les
Îles Ryūkyū ne font pas partie du Japon, elles sont un point de
passage maritime et commercial entre le Japon et l'empire Chinois,
ainsi qu'avec la Corée (qui elle aussi a de quoi se poser des questions sur son
identité). Finalement conquises par le Japon (et punies pour avoir
conservé des liens avec la Chine : interdiction de la langue et
des religions locales), les îles deviennent Okinawa. A la fin de la
seconde guerre mondiale, le gouvernement militaire américain
administre l'île et ce jusqu'en 1972. Subsistent encore aujourd'hui plusieurs bases militaires américaines posant problème. Aujourd'hui, Okinawa continue de nourrir
l'imaginaire japonais : autrefois indépendante, dotée d'une
culture plus « tropicale » (les langues de Ryūkyū
ne se rattachent pas aux dialectes japonais et constituent
donc un groupe linguistique distinct) c'est un lointain familier et
étranger à la fois, où les règles changent, le mystérieux
survit, là aussi où le gangster espère pouvoir repartir de zéro dans
l'établissement de son empire (Guerre des gangs à Okinawa,
Fukasaku, 1971).
Sur une tonalité surréaliste, Untama Giru applique fidèlement un conte populaire d'Okinawa : Giru,
employé agricole, vit un amour secret pour Malley, la fille adoptive
de son patron Nishibaru. Malley est en réalité l'incarnation d'un cochon
(ce qui visiblement ne dérange personne). Poursuivi par Nishibaru,
Giru se réfugie dans la forêt de Untama où l'esprit de la forêt
le dote de pouvoirs surhumains. Giru devient alors un honnête voleur
et se met au service des pauvres (entendez le pillage des entrepôts des forces
américaines d'occupation).
Si Untama Giru est une fable locale mélangeant
allégrement les domaines du fantastique et du politique, Takamine ne fait pas pour autant de la forêt d'Untama une foire
au bizarre. L'aphasie faussement tropicale des personnages fait que leurs actions, même celles qui font appel à la magie, ont tendance à laisser leur entourage indifférent. Ainsi, Giru s'appliquera docilement à l’apprentissage de la lévitation (il faut dire qu'il fréquentait déjà l'esprit de la forêt au quotidien, celui-ci semblant traîner aux abords du village pour récupérer quelque nourriture et s'entraîner à la pratique du nunchaku). Et, comme lorsque l'on vide son chargeur chez Kitano, le premier sursaut se résorbe alors dans une posture contemplative du monde où le temps et les événements seraient prédéterminés. Puisqu'il s'agit d'un conte, il est donc question de fatalité et le tout se dévoile progressivement comme une peinture en rouleau.
L'exposé politique n'est pas toujours des plus subtils (un officier américain s'injecte du sang de cochon) mais le film suit avant tout une bande peu sérieuse de pieds nickelés – à leurs aventures s'adjoint une certaine lenteur hypnotique qui fait la part belle aux paysages et ambiances d'Okinawa. Une Okinawa qui, si elle est limitée à un petit nombre de lieux (le barbier, un marais...) et fantasmée (puisque le film est sensé se dérouler en 1969), fait pourtant tout l'intérêt du film, à travers la touche paradoxalement réaliste de Takamine. Dans cette aventure picaresque, Giru est un simple ouvrier agricole et le ménestrel local un coiffeur en pré-retraite. En s'attardant sur les quelques lieux qui structurent le village, Takamine nous conte alors une histoire à première vue douce mais où transparaît par intermittence la dure réalité de la situation géopolitique.
A noter, la présence de Jun Togawa en petite sœur de Giru : une prostituée avant tout fascinée par le chamanisme animal et qui régulièrement rejoint la fanfare locale pour entamer des chants anti-impérialistes. En plus de Togawa, Koji Ueno (Halmens, Guernica) signe la musique du film. Le film précédent de Takamine réunissait déjà Jun Togawa et Haruomi Hosono ce qui souligne d'autant plus la dimension esthético-politique du travail de ces quelques artistes, réflexion générale sur « l'asianisme » et « japonisme », en particulier au regard de l'influence américaine sur la musique populaire japonaise des années 40 à 60. Okinawa, pourtant déjà enserrée entre la domination américaine et le voisin japonais, serait alors le lieu véritable d'une renaissance culturelle.
L'exposé politique n'est pas toujours des plus subtils (un officier américain s'injecte du sang de cochon) mais le film suit avant tout une bande peu sérieuse de pieds nickelés – à leurs aventures s'adjoint une certaine lenteur hypnotique qui fait la part belle aux paysages et ambiances d'Okinawa. Une Okinawa qui, si elle est limitée à un petit nombre de lieux (le barbier, un marais...) et fantasmée (puisque le film est sensé se dérouler en 1969), fait pourtant tout l'intérêt du film, à travers la touche paradoxalement réaliste de Takamine. Dans cette aventure picaresque, Giru est un simple ouvrier agricole et le ménestrel local un coiffeur en pré-retraite. En s'attardant sur les quelques lieux qui structurent le village, Takamine nous conte alors une histoire à première vue douce mais où transparaît par intermittence la dure réalité de la situation géopolitique.
A noter, la présence de Jun Togawa en petite sœur de Giru : une prostituée avant tout fascinée par le chamanisme animal et qui régulièrement rejoint la fanfare locale pour entamer des chants anti-impérialistes. En plus de Togawa, Koji Ueno (Halmens, Guernica) signe la musique du film. Le film précédent de Takamine réunissait déjà Jun Togawa et Haruomi Hosono ce qui souligne d'autant plus la dimension esthético-politique du travail de ces quelques artistes, réflexion générale sur « l'asianisme » et « japonisme », en particulier au regard de l'influence américaine sur la musique populaire japonaise des années 40 à 60. Okinawa, pourtant déjà enserrée entre la domination américaine et le voisin japonais, serait alors le lieu véritable d'une renaissance culturelle.
Vincent Poli
Cote de rareté : pendant longtemps invisible (ou presque), le film a récemment fait surface sur internet, sous-titré par les internautes. Une copie 35mm est passée trois fois au Festival des 3 Continents : en 1990 (Compétition, a obtenu la Montgolfière d'Or), 1998 (Sélection des films primés au festival) et 2008 (rétrospective "30 ans de Montgolfières d'or").
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